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Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 1.djvu/204

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son interlocuteur. Celui-ci se recula, pas précisément blessé, mais très-surpris.

— Que vous êtes étrange ! répéta d’un ton très-sérieux Zaméfoff. — M’est avis que vous avez toujours le délire.

— J’ai le délire ? Tu plaisantes, mon gaillard !… Ainsi je suis étrange ? C’est-à-dire que je vous parais curieux, hein ? Curieux ?

— Oui.

— Alors, vous désirez savoir ce que je lisais, ce que je cherchais dans les journaux ? Voyez combien de numéros je me suis fait apporter ! Cela donne grandement à penser, n’est-ce pas ?

— Allons, dites.

— Vous croyez avoir trouvé la pie au nid ?

— Quelle pie au nid ?

— Plus tard je vous le dirai ; maintenant, mon très-cher, je vous déclare… ou plutôt, « j’avoue »… Non, ce n’est pas encore cela ; « je fais une déposition et vous la notez » — voilà ! Eh bien, je dépose que j’ai lu, que j’étais curieux de lire, que j’ai cherché et que j’ai trouvé… — Raskolnikoff cligna les yeux et attendit : — c’est même pour cela que je suis venu ici — les détails relatifs au meurtre de la vieille prêteuse sur gages.

En prononçant ces derniers mots, il avait baissé la voix et rapproché extrêmement son visage de celui de Zamétoff. Ce dernier le regarda fixement sans bouger et sans écarter la tête. Ce qui ensuite parut le plus étrange au chef de la chancellerie, c’est que durant toute une minute ils s’étaient ainsi regardés l’un l’autre, sans proférer une parole.

— Eh bien ! que m’importe ce que vous avez lu ? s’écria soudain le policier impatienté par ces façons énigmatiques. Qu’est-ce que cela peut me faire ?

— Vous savez, continua, toujours à voix basse, Raskolnikoff, sans prendre garde à l’exclamation de Zamétoff, il