Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 1.djvu/212

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— Je parie que tu viendras ! lui cria son ami. Sinon, tu… sinon, je ne veux plus te connaître ! Attends un peu, eh ! Zamétoff est là ?

— Oui.

— Il t’a vu ?

— Oui.

— Et il t’a parlé ?

— Oui.

— De quoi ? Allons, c’est bien, ne le dis pas, si tu ne veux pas le dire ! Maison Potchinkoff, no 47, logement Babouchkine, rappelle-toi !

Raskolnikoff arriva à la Sadovaïa et tourna au coin. Après l’avoir suivi d’un regard soucieux, Razoumikhine se décida enfin à entrer dans la maison, mais, au milieu de l’escalier, il s’arrêta.

« Peste soit de lui ! » continua-t-il presque à voix haute ; « il parle avec lucidité et comme… Imbécile que je suis ! Est-ce que les fous déraisonnent toujours ? Zosimoff, à ce qu’il m’a semblé, craint aussi cela ! » Il appliqua le doigt sur son front. « Eh quoi, si… comment l’abandonner maintenant à lui-même ? Il est dans le cas d’aller se noyer… Allons, j’ai fait une sottise ! Il n’y pas à hésiter ! » Et il courut à la recherche de Raskolnikoff. Mais il ne put le retrouver, et force lui fut de revenir à grands pas au Palais de Cristal pour interroger au plus tôt Zamétoff.

Raskolnikoff alla droit au pont ***, s’arrêta au milieu et, s’étant accoudé sur le parapet, se mit à regarder au loin. Depuis qu’il avait quitté Razoumikhine, sa faiblesse s’était accrue à un tel point qu’il avait pu à grand’peine se traîner jusque-là. Il aurait voulu s’asseoir ou se coucher quelque part, dans la rue. Penché au-dessus de l’eau, il contemplait d’un œil distrait le dernier reflet du soleil couchant et la rangée des maisons qu’obscurcissait l’approche de la nuit.