Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 1.djvu/219

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pas celle d’un homme du peuple. Le crâne et le visage étaient couverts d’affreuses blessures par lesquelles s’échappaient des flots de sang. On voyait qu’il ne s’agissait pas ici d’un accident pour rire.

— Mon Dieu ! ne cessait de dire le cocher, comment aurais-je pu empêcher cela ? Si j’avais mis mes chevaux au galop ou si je ne l’avais pas averti, ce serait ma faute ; mais non, la voiture n’allait pas vite, tout le monde l’a bien vu. Malheureusement un homme ivre ne fait attention à rien, c’est connu !… Je le vois traverser la rue en festonnant, — une fois, deux fois, trois fois, je lui crie : Gare ! Je retiens même les chevaux ; mais il va droit à leur rencontre ! On aurait dit qu’il le faisait exprès. Les bêtes sont jeunes, ombrageuses ; elles se sont élancées, et il a crié, ce qui les a encore effarées davantage… Voilà comment le malheur est arrivé.

— Oui, c’est bien ainsi que les choses se sont passées, confirma quelqu’un qui avait été témoin de cette scène.

— En effet, à trois reprises, il lui a crié de se garer, dit un autre.

— Parfaitement, il a crié trois fois, tout le monde l’a entendu, ajouta un troisième.

Du reste, le cocher ne semblait pas trop inquiet des conséquences que cette aventure pouvait avoir pour lui. Évidemment, le propriétaire de l’équipage était un homme riche et important qui attendait quelque part l’arrivée de sa voiture ; cette dernière circonstance éveillait surtout la sollicitude empressée des agents de police. Pourtant il fallait transporter le blessé à l’hôpital. Personne ne savait son nom.

Sur ces entrefaites, Raskolnikoff, à force de jouer des coudes, avait réussi à s’approcher davantage. Soudain, un jet de lumière, éclairant le visage du malheureux, le lui fit reconnaître.