Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 1.djvu/246

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— Mais tu as perdu l’esprit ! Tu es un despote ! vociféra Razoumikhine.

Raskolnikoff ne répondit pas ; peut-être n’était-il plus en état de répondre. À bout de forces, il s’étendit sur le divan et se tourna du côté du mur. Avdotia Romanovna regarda curieusement Razoumikhine, ses yeux noirs étincelèrent ; l’étudiant tressaillit même sous ce regard. Pulchérie Alexandrovna paraissait consternée.

— Jamais je ne pourrai me résoudre à m’en aller ! murmura-t-elle, avec une sorte de désespoir, à l’oreille de Razoumikhine, je resterai ici quelque part… Reconduisez Dounia.

— Et vous gâterez toute l’affaire ! répondit sur le même ton bas le jeune homme hors de lui : — sortons du moins de la chambre. Nastasia, éclaire-nous ! Je vous jure, continua-t-il à demi-voix, lorsqu’ils furent dans l’escalier, que tantôt il a été sur le point de nous battre, le docteur et moi ! Comprenez-vous cela ? le docteur lui-même ! D’ailleurs, il est impossible que vous laissiez Avdotia Romanovna loger seule dans ce garni ! Songez un peu dans quelle maison vous êtes descendues ! Ce coquin de Pierre Pétrovitch n’aurait-il pas pu vous trouver un logement plus convenable ?… Du reste, vous savez, j’ai un peu bu, et voilà pourquoi… mes expressions sont un peu vives ; ne faites pas attention…

— Eh bien ! reprit Pulchérie Alexandrovna, — je vais aller trouver la logeuse de Rodia, et je la prierai de nous donner à Dounia et à moi un coin pour cette nuit. Je ne puis l’abandonner en cet état, je ne le puis pas !

Cette conversation avait lieu sur le palier, devant la porte même de la logeuse. Nastasia se tenait sur la dernière marche, avec la lumière. Razoumikhine était extraordinairement animé. Une demi-heure auparavant, quand il avait reconduit Raskolnikoff chez lui, il bavardait outre mesure, comme lui-même le reconnaissait ; mais il avait la tête fort