Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 1.djvu/265

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lui deux caractères opposés qui se manifestent tour à tour. À de certains moments, il est d’une taciturnité extrême. Tout lui est à charge, tout le monde le dérange, et il reste couché sans rien faire ! Il n’est pas moqueur, non que son esprit manque de causticité, mais plutôt parce qu’il dédaigne le persiflage comme un passe-temps trop frivole. Il n’écoute pas jusqu’au bout tout ce qu’on lui dit. Jamais il ne s’intéresse aux choses qui, à un moment donné, intéressent tout le monde. Il a une très-haute opinion de lui-même, et je crois qu’en cela il n’a pas tout à fait tort. Qu’ajouterai-je ? Il me semble que votre arrivée exercera une action des plus salutaires sur lui.

— Ah ! Dieu le veuille ! s’écria Pulchérie Alexandrovna, fort inquiétée par ces révélations sur le caractère de son Rodia.

À la fin, Razoumikhine osa regarder un peu plus hardiment Avdotia Komanovna. Pendant qu’il parlait, il l’avait souvent examinée, mais à la dérobée, en détournant aussitôt les yeux. Tantôt la jeune fille s’asseyait près de la table et écoutait attentivement, tantôt elle se levait, et, selon sa coutume, se promenait de long en large dans la chambre, les bras croisés, les lèvres serrées, faisant de temps à autre une question sans interrompre sa marche. Elle avait aussi l’habitude de ne pas écouter jusqu’au bout ce qu’on disait. Elle portait une robe légère d’une étoffe foncée et avait un petit fichu blanc autour du cou. À divers indices, Razoumikhine reconnut vite que les deux femmes étaient très-pauvres. Si Avdotia Romanovna avait été mise comme une reine, il est probable qu’elle ne l’aurait nullement intimidé ; maintenant, peut-être par cela même qu’elle était fort pauvrement vêtue, il éprouvait une grande crainte vis-à-vis d’elle et surveillait avec un soin extrême chacune de ses expressions, chacun de ses gestes, ce qui, naturellement, ajoutait encore à la gêne d’un homme déjà peu sûr de lui.