Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 1.djvu/280

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je n’avais pas de vêtements à mettre ; j’aurais dû dire hier à Nastasia de laver ce sang… j’ai pu seulement m’habiller tout à l’heure.

— Du sang ! Quel sang ? demanda Pulchérie Alexandrovna alarmée.

— Ce n’est rien… ne vous inquiétez pas. Hier, pendant que j’avais le délire, en flânant dans la rue, je me suis heurté contre un homme qui venait d’être écrasé… un employé ; c’est comme cela que mes habits ont été ensanglantés…

— Pendant que tu avais le délire ? Mais tu te rappelles tout ! interrompit Razoumikhine.

— C’est vrai, répondit Raskolnikoff soucieux ; je me rappelle tout, jusqu’au plus petit détail, mais voici ce qui est étrange : je ne parviens pas à m’expliquer pourquoi j’ai fait ceci, pourquoi j’ai dit cela, pourquoi je suis allé à tel endroit.

— C’est un phénomène bien connu, observa Zosimoff ; l’acte est parfois accompli avec une adresse, une habileté extraordinaires ; mais le principe d’où il émane est altéré chez l’aliéné et dépend de diverses impressions morbides.

Le mot « aliéné » jeta un froid ; Zosimoff l’avait laissé échapper sans y prendre garde, tout entier qu’il était au plaisir de pérorer sur son thème favori. Raskolnikoff, absorbé dans une sorte de rêverie, parut ne faire aucune attention aux paroles du docteur. Un étrange sourire flottait sur ses lèvres pâles.

— Eh bien ! mais cet homme écrasé ? Je t’ai interrompu tout à l’heure se hâta de dire Razoumikhine.

— Quoi ? fit Raskolnikoff comme quelqu’un qui se réveille ; oui… eh bien, je me suis couvert de sang en aidant à le transporter chez lui… À propos, maman, j’ai fait hier une chose impardonnable ; il fallait vraiment que j’eusse perdu la tête. Tout l’argent que vous m’aviez envoyé, je l’ai donné