Aller au contenu

Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 1.djvu/299

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— J’avais déjà entendu parler de vous par le défunt… Seulement je ne savais pas alors votre nom, et il ne le savait pas lui-même… Maintenant je suis venue… et quand j’ai appris hier votre nom… j’ai demandé aujourd’hui : C’est ici qu’habite M. Raskolnikoff ?… Je ne savais pas que vous viviez aussi en garni… Adieu… Je dirai à Catherine Ivanovna…

Fort contente de pouvoir enfin s’en aller, Sonia s’éloigna d’un pas rapide et en tenant les yeux baissés. Il lui tardait d’atteindre le premier coin de rue à droite, pour échapper à la vue des deux jeunes gens et réfléchir sans témoins à tous les incidents de cette visite. Jamais elle n’avait rien éprouvé de semblable. Tout un monde ignoré surgissait confusément dans son âme. Elle se rappela soudain que Raskolnikoff avait spontanément manifesté l’intention de l’aller voir aujourd’hui : peut-être viendrait-il dans la matinée, peut-être tout à l’heure !

— Puisse-t-il ne pas venir aujourd’hui ! murmura-t-elle angoissée. — Seigneur ! Chez moi… dans cette chambre… il verra… Ô Seigneur !

Elle était trop préoccupée pour remarquer que, depuis sa sortie de la maison, elle était suivie par un inconnu. Au moment où Raskolnikoff, Razoumikhine et Sonia s’étaient arrêtés sur le trottoir pour causer durant une minute, le hasard avait voulu que ce monsieur passât à côté d’eux. Les mots de Sonia : « J’ai demandé : c’est ici qu’habite M. Raskolnikoff ? » arrivèrent fortuitement à ses oreilles et le firent presque tressaillir. Il regarda à la dérobée les trois interlocuteurs, et en particulier Raskolnikoff, à qui la jeune fille s’était adressée ; puis il examina la maison pour pouvoir la reconnaître au besoin. Tout cela fut fait en un clin d’œil et aussi peu ostensiblement que possible ; après quoi, le monsieur s’éloigna en ralentissant le pas, comme s’il eût attendu quelqu’un. C’était Sonia qu’il attendait ; bientôt il la vit