Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 1.djvu/307

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— Alors la main de Dieu a tout fait. Figure-toi, Porphyre, que la semaine passée il m’avait témoigné un très-vif désir de t’être présenté, mais il paraît que vous n’avez pas eu besoin de moi pour entrer en relation l’un avec l’autre… Tu as du tabac ?

Porphyre Pétrovitch était en négligé du matin : robe de chambre, pantoufles éculées, linge très-propre. C’était un homme de trente-cinq ans, d’une taille au-dessous de la moyenne, gros et même légèrement ventru. Il ne portait ni barbe ni moustaches, et avait les cheveux coupés ras. Sa grosse tête ronde présentait une rotondité particulière dans la région de la nuque. Son visage bouffi, rond et un peu camard ne manquait ni de vivacité, ni même d’enjouement, bien que le teint, d’un jaune foncé, fut loin d’annoncer la santé. On aurait pu trouver de la bonhomie dans cette figure sans l’expression des yeux qui, abrités sous des cils presque blancs, semblaient toujours clignoter comme pour adresser des signes d’intelligence à quelqu’un. Le regard de ces yeux donnait un démenti étrange au reste de la physionomie. À première vue, le physique du juge d’instruction offrait quelque analogie avec celui d’une paysanne, mais ce masque ne trompait pas longtemps un observateur attentif.

Dès qu’il eut appris que Raskolnikoff avait une « petite affaire » à traiter avec lui, Porphyre Pétrovitch l’invita à prendre place sur le divan, s’assit lui-même à l’autre bout et se mit à sa disposition avec le plus grand empressement. D’ordinaire, nous nous sentons un peu gênés quand un homme que nous connaissons à peine manifeste une telle curiosité de nous entendre ; notre embarras est plus vif encore si l’objet dont nous avons à parler se trouve être, à nos propres yeux, peu digne de l’extrême attention qu’on nous témoigne. Néanmoins, Raskolnikoff, en quelques mots courts et précis, exposa nettement son affaire ; il put même, chemin faisant, observer assez bien Porphyre Pétrovitch,