Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 1.djvu/315

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Au bout d’un instant revint Porphyre Pétrovitch. Il paraissait de très-bonne humeur.

— Hier, au sortir de chez toi, mon ami, j’avais vraiment mal aux cheveux, commença-t-il en s’adressant à Razoumikhine avec un enjouement qu’il n’avait pas montré jusqu’alors, — mais à présent c’est passé…

— Eh bien, est-ce que la soirée a été intéressante ? Je vous ai quittés au plus beau moment ; à qui est restée la victoire ?

— Mais à personne, naturellement. Ils ont ergoté à qui mieux mieux sur leurs vieilles thèses.

— Figure-toi, Rodia, que la discussion roulait hier sur cette question : Y a-t-il des crimes ou n’y en a-t-il pas ? et ce qu’ils ont débité de sottises à ce propos !…

— Qu’est-ce qu’il y a là d’extraordinaire ? C’est une question sociale qui n’a pas le mérite de la nouveauté, répondit distraitement Raskolnikoff.

— La question n’était pas formulée comme cela, observa Porphyre.

— Pas tout à fait comme cela, c’est vrai, reconnut aussitôt Razoumikhine, qui s’était emballé selon son habitude.

— Écoute, Rodia, et dis-nous ton opinion, je le veux. Hier, ils m’avaient mis hors de moi, et je t’attendais toujours, je leur avais promis ta visite… Les socialistes ont commencé par exposer leur théorie. On sait en quoi elle consiste : le crime est une protestation contre un ordre social mal organisé — rien de plus. Quand ils ont dit cela, ils ont tout dit ; ils n’admettent pas d’autre cause des actes criminels ; pour eux, l’homme est poussé au crime par l’influence irrésistible du milieu et par elle seule. C’est leur phrase favorite.

— À propos de crime et de milieu, dit Porphyre Pétrovitch en s’adressant à Raskolnikoff, je me rappelle un travail de vous qui m’a vivement intéressé ; je parle de votre article : Sur le crime… je ne me souviens plus bien du