Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 1.djvu/326

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« Oh ! que le piège est grossier ! Quelle malice cousue de fil blanc ! » pensa Raskolnikoff écœuré.

— Permettez-moi de vous faire observer, répondit-il sèchement, que je ne me crois ni un Mahomet, ni un Napoléon… ni aucun personnage de ce genre : par conséquent, je ne puis vous renseigner sur ce que je ferais si j’étais à leur place.

— Allons donc ! qui est-ce qui chez nous, en Russie, ne se prend pas maintenant pour un Napoléon ? fit avec une brusque familiarité le juge d’instruction. Cette fois, l’intonation même de sa voix trahissait une arrière-pensée.

— Ne serait-ce pas un futur Napoléon qui aurait escoffié notre Aléna Ivanovna la semaine dernière ? lâcha tout à coup, de son coin, Zamétoff.

Sans prononcer un mot, Raskolnikoff fixa sur Porphyre un regard ferme et pénétrant. Les traits de Razoumikhine se refrognèrent. Depuis un certain temps déjà, il semblait se douter de quelque chose. Il promena autour de lui un regard irrité. Pendant une minute régna un sombre silence. Raskolnikoff se prépara à sortir.

— Vous partez déjà ! dit gracieusement Porphyre en tendant la main au jeune homme avec une extrême amabilité. — Je suis enchanté d’avoir fait votre connaissance. Et quant à votre requête, soyez tranquille. Écrivez dans le sens que je vous ai indiqué. Ou plutôt, faites mieux : venez vous-même me trouver… un de ces jours… demain, par exemple. Je serai , sans faute, à onze heures. Nous arrangerons tout… Nous causerons un peu… Comme vous êtes un des derniers qui soient allés là, vous pourriez peut-être nous dire quelque chose, ajouta-t-il d’un air bonhomme.

— Vous voulez m’interroger dans les règles ? demanda d’un ton roide Raskolnikoff.

— Pourquoi donc ? Il ne s’agit pas de cela pour le moment. Vous ne m’avez pas compris. Voyez-vous, je profite de