doux… Chères !… Pourquoi ne pleurent-elles pas ? Pourquoi ne gémissent-elles pas ?… Victimes résignées, elles acceptent tout en silence… Sonia, Sonia ! douce Sonia !… »
Il perdit conscience de lui-même et, à sa grande surprise, s’aperçut qu’il était dans la rue. La soirée était déjà avancée. Les ténèbres s’épaississaient, la pleine lune brillait d’un éclat de plus en plus vif, mais l’atmosphère était étouffante. On rencontrait quantité de gens dans les rues ; les ouvriers et les hommes occupés regagnaient leurs logis, les autres se promenaient ; il y avait dans l’air comme une odeur de chaux, de poussière, d’eau croupissante. Raskolnikoff marchait chagrin et préoccupé : il se rappelait fort bien qu’il était sorti de chez lui avec un but, qu’il avait à faire quelque chose d’urgent, mais quoi ? il l’avait oublié. Brusquement il s’arrêta et remarqua que sur l’autre trottoir un homme lui faisait un signe de la main. Il traversa la rue pour le rejoindre, mais soudain cet homme fit volte-face et, comme si de rien n’était, continua sa marche la tête baissée, sans se retourner, sans paraître appeler Raskolnikoff. « Me serais-je trompé ? » pensa ce dernier ; toutefois il se mit à le suivre. Avant d’avoir fait dix pas, il le reconnut tout à coup et fut saisi de frayeur : c’était le bourgeois de tantôt, toujours aussi voûté, toujours vêtu de la même robe de chambre. Raskolnikoff, dont le cœur battait avec force, marchait à quelque distance ; ils entrèrent dans un péréoulok. — L’homme ne se retournait toujours pas. « Sait-il que je suis derrière lui ? » se demandait Raskolnikoff. Le bourgeois franchit le seuil d’une grande maison. Raskolnikoff s’avança vivement vers la porte et se mit à regarder, pensant que peut-être ce mystérieux personnage se retournerait et l’appellerait. Effectivement, quand le bourgeois fut dans la cour, il se retourna brusquement et parut encore appeler du geste le jeune homme. Celui-ci se hâta d’entrer dans la maison, mais, arrivé dans la cour, il n’y trouva plus le bour-