Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 1.djvu/341

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quelqu’un devait être caché. Écartant avec précaution le manteau, il vit qu’il y avait là une chaise : sur cette chaise, dans le coin, était assise la vieille ; elle était comme pliée en deux, et tenait la tête tellement baissée, qu’il ne put pas apercevoir son visage, mais c’était bien Aléna Ivanovna. « Elle a peur ! » se dit Raskolnikoff ; il dégagea tout doucement sa hache du nœud coulant et, à deux reprises, en frappa la vieille sur le sinciput. Mais, chose étrange, elle ne chancela même pas sous les coups, on eût dit qu’elle était en bois. Stupéfait, le jeune homme se pencha vers elle pour l’examiner, mais elle baissa encore plus la tête. Il se courba alors jusqu’au plancher, la regarda de bas en haut et, en apercevant son visage, fut épouvanté : la vieille riait, oui, elle riait d’un rire silencieux, faisant tous ses efforts pour qu’on ne l’entendît pas. Tout à coup il sembla à Raskolnikoff que la porte de la chambre à coucher était ouverte, et que là aussi on riait, on chuchotait. La rage s’empara de lui : de toute sa force il commença à frapper sur la tête de la vieille, mais, à chaque coup de hache, les rires et les chuchotements de la chambre à coucher se percevaient plus distinctement ; quant à la vieille, elle se tordait. Il voulut s’enfuir, mais toute l’antichambre était déjà pleine de gens, la porte donnant sur le carré était ouverte ; sur le palier, sur l’escalier, depuis le haut jusqu’en bas, se trouvaient quantité d’individus ; tous regardaient, mais tous s’étaient cachés et attendaient en silence… Son cœur se serra, ses pieds semblaient cloués au plancher… il voulut crier et s’éveilla.

Il respira avec effort, mais il crut n’avoir point cessé de rêver, lorsqu’il aperçut, debout sur le seuil de sa porte grande ouverte, un homme qu’il ne connaissait nullement et qui le considérait avec attention.

Raskolnikoff n’avait pas encore eu le temps d’ouvrir tout à fait les yeux qu’il les referma soudain. Couché sur le dos,