Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 1.djvu/37

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elle deux ans auparavant, car à présent il ne lui descendait même plus jusqu’aux genoux.

Debout dans le coin, à côté de son petit frère, elle avait passé son long bras, maigre comme une allumette, autour du cou de l’enfant, et elle lui parlait tout bas, sans doute pour le faire taire. En même temps, elle suivait sa mère d’un regard craintif. Ses grands yeux sombres, élargis par la frayeur, paraissaient plus grands encore sur ce petit visage décharné. Marméladoff, au lieu d’entrer dans la chambre, s’agenouilla près de la porte, mais il invita du geste Raskolnikoff à s’avancer. La femme, à la vue d’un inconnu, s’arrêta distraitement devant lui, et, durant une seconde, elle essaya de s’expliquer sa présence. « Que vient faire ici cet homme ? » se demandait-elle. Mais bientôt elle crut comprendre qu’il se rendait chez quelque autre locataire, la chambre des Marméladoff étant un lieu de passage. Aussi, sans plus faire attention à l’étranger, se préparait-elle à aller ouvrir la porte de communication, quand un cri soudain lui échappa : elle venait d’apercevoir son mari à genoux sur le seuil.

— Ah ! tu es revenu ! fit-elle d’une voix vibrante de colère. Scélérat ! monstre ! Mais où est l’argent ? Qu’as-tu dans ta poche ? montre un peu ! Et ce n’est pas là ton vêtement ! Qu’as-tu fait de tes habits ? Qu’est devenu l’argent ? Parle !…

Elle se hâta de le fouiller. Loin d’opposer aucune résistance, Marméladoff écarta aussitôt les bras des deux côtés pour faciliter la visite de ses poches. Il n’avait plus sur lui un seul kopeck.

— Où est donc l’argent ? criait-elle. Oh ! Seigneur, se peut-il donc qu’il ait tout bu ! Il y avait encore douze roubles dans le coffre !…

Prise d’un soudain accès de rage, elle saisit son mari par les cheveux et le tira violemment dans la chambre. La patience de Marméladoff ne se démentit pas, il suivit docilement sa femme en se traînant à genoux derrière elle.