Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 1.djvu/8

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état d’agacement nerveux voisin de l’hypocondrie. S’isolant, se renfermant en lui-même, il en était venu à fuir non pas seulement la rencontre de sa logeuse, mais tout rapport avec ses semblables. La pauvreté l’écrasait ; toutefois il avait cessé, en dernier lieu, d’y être sensible. Il avait complétement renoncé à ses occupations journalières. Au fond, il se moquait de sa logeuse et des mesures qu’elle pouvait prendre contre lui. Mais être arrêté dans l’escalier, entendre toutes sortes de sottises dont il n’avait cure, subir des réclamations, des menaces, des plaintes, répondre par des défaites, des excuses, des mensonges, — non, mieux valait s’esquiver sans être vu de personne, se glisser comme un chat le long de l’escalier.

Cette fois, du reste, la crainte de rencontrer sa créancière l’étonna lui-même lorsqu’il fut dans la rue.

« Quand je projette un coup si hardi, faut-il que de pareilles niaiseries m’effrayent ! » pensa-t-il avec un sourire étrange. « Hum… oui… l’homme a tout entre les mains, et il laisse tout lui passer sous le nez, uniquement par poltronnerie… c’est un axiome… Je serais curieux de savoir de quoi les gens ont le plus peur ; je crois qu’ils craignent surtout ce qui les sort de leurs habitudes… Mais je bavarde beaucoup trop. C’est parce que je bavarde que je ne fais rien. Il est vrai que je pourrais dire de même : C’est parce que je ne fais rien que je bavarde. Voilà tout un mois que j’ai pris l’habitude de bavarder, couché durant des journées entières dans un coin, l’esprit occupé de fadaises. Allons, pourquoi fais-je maintenant cette course ? Est-ce que je suis capable de cela ? Est-ce que cela est sérieux ? Ce n’est pas sérieux du tout. Ce sont des billevesées qui amusent mon imagination, de pures chimères ! »

Dans la rue régnait une chaleur étouffante. La foule, la vue de la chaux, des briques, des échafaudages, et cette puanteur spéciale si connue du Pétersbourgeois qui n’a pas