Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 1.djvu/85

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

moyen de se procurer de l’argent chez elle. Riche comme un Juif, elle peut prêter cinq mille roubles d’un coup, et, néanmoins, elle accepte en nantissement des objets d’un rouble. Elle est une providence pour beaucoup des nôtres. Mais quelle horrible mégère !

Et il se mit à raconter qu’elle était méchante, capricieuse, qu’elle n’accordait même pas vingt-quatre heures de répit, et que tout gage non retiré au jour fixé était irrévocablement perdu pour le débiteur ; elle prêtait sur un objet le quart de sa valeur et prenait cinq et même six pour cent d’intérêt par mois, etc. L’étudiant, en veine de bavardage, ajouta que cette affreuse vieille était toute petite, ce qui ne l’empêchait pas de battre à chaque instant et de tenir dans une dépendance complète sa sœur Élisabeth, qui, elle, avait au moins deux archines huit verchoks de taille.

— Voilà encore un phénomène ! s’écria-t-il, et il se mit à rire.

L’entretien roula ensuite sur Élisabeth. L’étudiant parlait d’elle avec un plaisir marqué et toujours en riant. L’officier écoutait son ami avec beaucoup d’intérêt, et le pria de lui envoyer cette Élisabeth pour raccommoder son linge. Raskolnikoff ne perdit pas un mot de cette conversation ; il apprit ainsi une foule de choses. Plus jeune qu’Aléna Ivanovna, dont elle n’était que la sœur consanguine, Élisabeth avait trente-cinq ans. Elle travaillait nuit et jour pour la vieille. Outre qu’elle cumulait dans la maison l’emploi de cuisinière et celui de blanchisseuse, elle faisait des travaux de couture qu’elle vendait, allait laver des parquets au dehors, et tout ce qu’elle gagnait, elle le donnait à sa sœur. Elle n’osait accepter aucune commande, aucun travail qu’après avoir obtenu l’autorisation d’Aléna Ivanovna. Celle-ci, — Élisabeth le savait, — avait déjà fait son testament, aux termes duquel sa sœur n’héritait que de son mobilier.