Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/104

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autres, il avait entendu dire qu’il existait à Pétersbourg des progressistes, des nihilistes, des redresseurs de torts, etc., etc. ; mais dans son esprit, comme dans l’esprit du plus grand nombre, ces mots avaient pris une signification exagérée jusqu’à l’absurde. Ce qu’il redoutait particulièrement, c’étaient les enquêtes dirigées contre telle ou telle individualité par le parti révolutionnaire. Certains souvenirs qui remontaient aux premiers temps de sa carrière ne contribuaient pas peu à fortifier en lui cette crainte devenue très-vive depuis surtout qu’il caressait le rêve de s’établir à Pétersbourg.

Deux personnages d’un rang assez élevé qui avaient protégé ses débuts s’étaient vus en butte aux attaques des radicaux, et cela avait fort mal fini pour eux. Voilà pourquoi, dès son arrivée dans la capitale, Pierre Pétrovitch tenait à s’assurer d’où soufflait le vent et, en cas de besoin, à gagner les bonnes grâces de « nos jeunes générations ». Il comptait sur André Séménovitch pour l’y aider. La conversation de Loujine, lors de sa visite à Raskolnikoff, nous a montré qu’il avait déjà réussi à s’approprier en partie le langage des réformateurs…

André Séménovitch était employé dans un ministère. Petit, malingre, scrofuleux, il avait des cheveux d’un blond presque blanc et des favoris en côtelettes dont il était très-fier. De plus, il avait presque toujours mal aux yeux. Quoique assez bon homme au fond, il montrait dans son langage une présomption souvent poussée jusqu’à l’outrecuidance, ce qui contrastait ridiculement avec son chétif extérieur.

Il passait, du reste, pour un des locataires les plus comme il faut de la maison, parce qu’il ne s’enivrait pas et payait régulièrement son loyer. Réserve faite de ces mérites, André Séménovitch était, en réalité, assez bête. Un entraînement irréfléchi l’avait porté à s’enrôler sous la bannière du progrès. C’était un de ces innombrables niais qui s’engouent de