Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/116

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et se hâta de prendre congé. Pierre Pétrovitch la reconduisit jusqu’à la porte. À la fin, elle sortit de la chambre et revint chez Catherine Ivanovna, en proie à une agitation extraordinaire.

Pendant toute cette scène, André Séménovitch, ne voulant pas troubler la conversation, était resté près de la fenêtre ou avait marché dans la chambre. Aussitôt que Sonia fut partie, il s’approcha de Pierre Pétrovitch et lui tendit la main par un geste solennel :

— J’ai tout entendu et tout vu, dit-il en appuyant avec intention sur le dernier mot. — C’est noble, c’est humain, veux-je dire, car je n’admets pas le mot noble. Vous avez voulu échapper aux remerciements, je l’ai vu ! Et quoique, à dire vrai, je sois, par principe, ennemi de la bienfaisance privée qui, loin d’extirper radicalement la misère, en favorise les progrès, je ne puis pourtant m’empêcher de reconnaître que j’ai vu votre acte avec plaisir, — oui, oui, cela me plaît.

— Eh ! c’est la moindre des choses ! murmura Loujine un peu embarrassé, et il regarda Lébéziatnikoff avec une attention particulière.

— Non, ce n’est pas la moindre des choses ! Un homme qui, ulcéré comme vous par un affront récent, est encore capable de s’intéresser au malheur d’autrui, — un tel homme peut agir à l’encontre de la saine économie sociale, il n’en est pas moins digne d’estime ! Je n’attendais même pas cela de vous, Pierre Pétrovitch, d’autant plus qu’étant donnée votre manière de voir… Oh ! que vous êtes encore empêtré dans vos idées ! Comme vous êtes troublé notamment par cette affaire d’hier ! s’écria le brave André Séménovitch qui éprouvait un retour de vive sympathie pour Pierre Pétrovitch, et quel besoin, en vérité, avez-vous de vous marier, de vous marier légalement, très-noble, très-cher Pierre Pétrovitch ? Que vous importe l’union légale ? Battez-moi si vous