Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/119

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à seule fin de « faire les choses aussi bien que les autres ». Il est encore permis de supposer qu’au moment même où elle se voyait réduite à la plus extrême misère, Catherine Ivanovna voulait montrer à tous ces « gens de rien », non-seulement qu’elle « savait vivre et recevoir », mais que, fille d’un colonel, élevée « dans une maison noble, aristocratique même, pouvait-on dire », elle n’était pas faite pour laver son parquet de ses propres mains et blanchir nuitamment le linge de ses mioches.

Les bouteilles de vin n’étaient ni très-nombreuses, ni de marques très-variées, et le madère faisait défaut. Pierre Pétrovitch avait exagéré les choses. Cependant, il y avait du vin. On s’était procuré de l’eau-de-vie, du rhum et du porto, le tout de qualité très-inférieure, mais en quantité suffisante. Le menu, préparé dans la cuisine d’Amalia Ivanovna, comprenait, outre le koutia, trois ou quatre plats, notamment des blines. De plus, deux samovars furent tenus prêts pour ceux des convives qui voudraient prendre du thé et du punch après le dîner. Catherine Ivanovna s’occupa elle-même des achats avec l’aide d’un locataire de la maison, un Polonais famélique qui habitait, Dieu sait dans quelles conditions ! chez madame Lippevechzel.

Dès le premier moment, ce pauvre diable se mit à la disposition de la veuve, et, durant trente-six heures, il se prodigua en courses avec un zèle qu’il ne perdait d’ailleurs aucune occasion de faire ressortir. À chaque instant, pour la moindre vétille, il accourait, tout affairé, demander les instructions de la « panna Marméladoff ». Après avoir déclaré d’abord que, sans l’obligeance de « cet homme serviable et magnanime », elle n’aurait su que devenir, Catherine Ivanovna finit par trouver son factotum absolument insupportable. Il était dans ses habitudes de s’engouer à brûle-pourpoint du premier venu ; elle le voyait sous les couleurs les plus brillantes et lui prêtait mille mérites qui n’existaient