Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/131

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et je n’en puis plus de fatigue ; aussi bien le repas est fini, on va servir le thé.

Amalia Ivanovna, très-vexée de n’avoir pu placer un seul mot durant la conversation précédente, choisit ce moment pour risquer une dernière tentative, et fit observer fort judicieusement à la future maîtresse de pension qu’elle devrait donner la plus grande attention au linge de ses élèves et empêcher celles-ci de lire des romans pendant la nuit. La fatigue et l’agacement rendaient Catherine Ivanovna peu endurante ; aussi prit-elle fort mal ces sages conseils : à l’en croire, la logeuse n’entendait rien aux choses dont elle parlait ; dans un pensionnat de jeunes filles nobles, le soin du linge regardait la femme de charge, et non la directrice de l’établissement ; quant à l’observation relative à la lecture des romans, c’était une simple inconvenance ; bref, Amalia Ivanovna était priée de se taire.

Au lieu de se rendre à cette prière, la logeuse répondit aigrement qu’elle n’avait parlé que « pour un bien », qu’elle avait toujours eu les meilleures intentions, et que depuis longtemps Catherine Ivanovna ne lui payait pas un sou. « Vous mentez en parlant de vos bonnes intentions, reprit la veuve ; pas plus tard qu’hier, quand le défunt était exposé sur la table, vous êtes venue me faire une scène à propos du loyer. » Là-dessus, la logeuse observa avec beaucoup de logique qu’elle « avait invité ces dames, mais que ces dames n’étaient pas venues, parce que ces dames étaient nobles et ne pouvaient pas aller chez une dame qui n’était pas noble ». À quoi son interlocutrice objecta qu’une cuisinière n’avait pas qualité pour juger de la véritable noblesse.

Amalia Ivanovna piquée au vif répliqua que « son vater était un homme très, très-important à Berlin, qu’il se promenait les deux mains dans ses poches et faisait toujours : Pouff ! pouff ! » Pour donner une idée plus exacte de son vater, madame Lippevechzel se leva, fourra ses mains dans