Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/149

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dans la chambre nombre de locataires qui n’avaient pas dîné chez Catherine Ivanovna. Les trois Polonais, très-échauffés, ne cessaient de proférer dans leur langue des menaces contre Pierre Pétrovitch.

Sonia écoutait avec une attention soutenue, mais ne semblait pas avoir encore recouvré toute sa présence d’esprit ; on eût dit que la jeune fille sortait d’un évanouissement. Elle ne quittait pas des yeux Raskolnikoff, sentant qu’en lui était tout son appui. Catherine Ivanovna paraissait fort souffrante ; chaque fois qu’elle respirait, un son rauque s’échappait de sa poitrine.

La plus sotte figure était celle d’Amalia Ivanovna. La logeuse avait l’air de ne rien comprendre et, la bouche grande ouverte, regardait ébahie. Elle voyait seulement que Pierre Pétrovitch était dans une mauvaise passe. Raskolnikoff voulut de nouveau prendre la parole, mais il dut y renoncer, faute de pouvoir se faire entendre. De toutes parts pleuvaient les injures et les menaces à l’adresse de Loujine, autour de qui s’était formé un groupe aussi hostile que compact. L’homme d’affaires fit bonne contenance. Comprenant que la partie était définitivement perdue pour lui, il eut recours à l’effronterie.

— Permettez, messieurs, permettez, ne vous pressez pas comme cela, laissez-moi passer, dit-il en essayant de s’ouvrir un chemin à travers la foule. — Il est inutile, je vous assure, de chercher à m’intimider par vos menaces, je ne m’effraye pas pour si peu. C’est vous, au contraire, messieurs, qui répondrez en justice de la protection dont vous couvrez un acte criminel. Le vol est plus que prouvé, et je porterai plainte. Les juges sont des gens éclairés et… point ivres : ils récuseront le témoignage de deux impies, de deux révolutionnaires avérés qui m’accusent dans un but de vengeance personnelle, comme ils ont eux-mêmes la sottise de le reconnaître… Oui, permettez !