Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/165

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sa mère dans le besoin, souffrir le déshonneur de sa sœur, — est-ce une vie ! Et tout cela pour arriver à quoi ? Après avoir enterré les miens, j’aurais pu fonder une nouvelle famille, quitte à laisser en mourant ma femme et mes enfants sans une bouchée de pain ! Eh bien… eh bien, je me suis dit qu’avec l’argent de la vieille je cesserais d’être à la charge de ma mère, je pourrais rentrer à l’Université et ensuite assurer mes débuts dans la vie… Eh bien, voilà tout… Naturellement j’ai eu tort de tuer la vieille… allons, assez !

Raskolnikoff paraissait à bout de forces et baissa la tête avec accablement.

— Oh ! ce n’est pas cela, ce n’est pas cela ! s’écria Sonia d’une voix lamentable, — est-ce que c’est possible… non, il y a autre chose !

— Tu juges toi-même qu’il y a autre chose ! Pourtant je t’ai dit la vérité !

— La vérité ! Oh ! Seigneur !

— Après tout, Sonia, je n’ai tué qu’une vermine ignoble, malfaisante…

— Cette vermine, c’était une créature humaine !

— Eh ! je sais bien que ce n’était pas une vermine dans le sens littéral du mot, reprit Raskolnikoff en la regardant d’un air étrange. Du reste, ce que je dis n’a pas le sens commun, ajouta-t-il ; — tu as raison, Sonia, ce n’est pas cela. Ce sont de tout autres motifs qui m’ont fait agir !… Depuis longtemps je ne cause avec personne, Sonia… Cette conversation m’a donné un violent mal de tête.

Ses yeux brillaient d’un éclat fiévreux. Le délire s’était presque emparé de lui, un sourire inquiet errait sur ses lèvres. Sous son animation factice perçait une extrême lassitude. Sonia comprit combien il souffrait. Elle aussi commençait à perdre la tête. « Quel langage étrange ! Présenter de pareilles explications comme plausibles ! » Elle n’en