Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/168

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rieures j’ai subies ! Que tous ces rêves m’étaient insupportables et que j’aurais voulu m’en débarrasser à jamais ! Crois-tu que je sois allé là comme un étourdi, comme un écervelé ? Loin de là, je n’ai agi qu’après mûres réflexions, et c’est ce qui m’a perdu ! Penses-tu que je me sois fait illusion ? Quand je m’interrogeais sur le point de savoir si j’avais droit à la puissance, je sentais parfaitement que mon droit était nul par cela même que je le mettais en question. Lorsque je me demandais si une créature humaine était une vermine, je me rendais très-bien compte qu’elle n’en était pas une pour moi, mais pour l’audacieux qui ne se serait pas demandé cela, et aurait suivi son chemin sans se tourmenter l’esprit à ce sujet… Enfin le seul fait de me poser ce problème : « Napoléon aurait-il tué cette vieille ? » suffisait pour me prouver que je n’étais pas un Napoléon… Finalement j’ai renoncé à chercher des justifications subtiles : j’ai voulu tuer sans casuistique, tuer pour moi, pour moi seul ! Même dans une pareille affaire j’ai dédaigné de ruser avec ma conscience. Si j’ai tué, ce n’est ni pour soulager l’infortune de ma mère, ni pour consacrer au bien de l’humanité la puissance et la richesse que, dans ma pensée, ce meurtre devait m’aider à conquérir. Non, non, tout cela était loin de mon esprit. Dans ce moment-là, sans doute, je ne m’inquiétais pas du tout de savoir si je ferais jamais du bien à quelqu’un ou si je serais toute ma vie un parasite social !… Et l’argent n’a pas été pour moi le principal mobile de l’assassinat, une autre raison m’y a surtout déterminé… Je vois cela maintenant… Comprends-moi : si c’était à refaire, peut-être ne recommencerais-je pas. Mais alors il me tardait de savoir si j’étais une vermine comme les autres ou un homme dans la vraie acception du mot, si j’avais ou non en moi la force de franchir l’obstacle, si j’étais une créature tremblante ou si j’avais le droit

— Le droit de tuer ? s’écria Sonia stupéfaite.