Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/176

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Dmitri Prokofitch prétend qu’il n’y a rien à craindre et que tu as tort de t’affecter à ce point. Je ne suis pas de son avis : je m’explique très-bien le débordement d’indignation qui s’est produit en toi, et je ne serais pas surprise que ta vie entière n’en ressentît le contre-coup. C’est ce que je crains. Tu nous as quittées. Je ne juge pas ta résolution, je n’ose pas la juger, et je te prie de me pardonner les reproches que je t’ai adressés. Je sens moi-même que si j’étais à ta place, je ferais comme toi, je me bannirais du monde. Je laisserai maman ignorer cela, mais je lui parlerai sans cesse de toi et je lui dirai de ta part que tu ne tarderas pas à la venir voir. Ne t’inquiète pas d’elle, je la rassurerai, mais toi, de ton côté, ne lui fais pas de peine, — viens, ne fût-ce qu’une fois ; songe qu’elle est ta mère ! Mon seul but, en te faisant cette visite, était de te dire, acheva Dounia en se levant, — que si, par hasard, tu avais besoin de moi pour quoi que ce soit, je suis à toi à la vie et à la mort… appelle-moi, je viendrai. Adieu !

Elle tourna les talons et se dirigea vers la porte.

— Dounia ! fit Raskolnikoff, qui se leva et s’avança vers elle : — ce Razoumikhine, Dmitri Prokofitch, est un excellent homme.

Dounia rougit légèrement.

— Eh bien ? demanda-t-elle après une minute d’attente.

— C’est un homme actif, laborieux, honnête et capable d’un solide attachement… Adieu, Dounia !

La jeune fille était devenue toute rouge, mais ensuite elle fut prise d’une crainte soudaine.

— Mais est-ce que nous nous quittons pour toujours, mon frère ? C’est comme un testament que tu me laisses !

— N’importe… Adieu…

Il s’éloigna d’elle et se dirigea vers la fenêtre. Elle attendit un moment, le regarda avec inquiétude et se retira toute troublée.

Non, ce n’était pas de l’indifférence qu’il éprouvait à