Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/178

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Ils s’arrêtent dans les carrefours et devant les boutiques. Ils ont à leurs trousses un tas d’imbéciles. Dépêchons-nous.

— Et Sonia ?… demanda avec inquiétude Raskolnikoff qui se hâta de suivre André Séménovitch.

— Elle a tout à fait perdu la tête. C’est-à-dire, ce n’est pas Sophie Séménovna qui a perdu la tête, mais Catherine Ivanovna ; du reste, on peut en dire autant de Sophie Séménovna. Quant à Catherine Ivanovna, c’est de la folie pure. Je vous assure qu’elle est positivement atteinte d’aliénation mentale. On va les conduire au poste, et vous pouvez vous représenter l’effet que cela produira sur elle. Ils sont maintenant sur le canal, près du pont ***, pas loin de chez Sophie Séménovna. Nous allons y arriver.

Sur le canal, à peu de distance du pont, stationnait une foule composée en grande partie de petits garçons et de petites filles. La voix rauque, éraillée, de Catherine Ivanovna s’entendait déjà du pont. De fait, le spectacle était assez étrange pour attirer l’attention des passants. Coiffée d’un mauvais chapeau de paille, vêtue de sa vieille robe sur laquelle elle avait jeté un châle en drap de dame, Catherine Ivanovna ne justifiait que trop les paroles de Lébéziatnikoff. Elle était épuisée, haletante. Son visage phtisique exprimait plus de souffrance que jamais (d’ailleurs, les poitrinaires, au soleil, dans la rue, ont toujours plus mauvaise mine que chez eux), mais, nonobstant sa faiblesse, elle était en proie à une excitation qui ne faisait que croître de minute en minute.

Elle s’élançait vers ses enfants, les gourmandait avec vivacité, s’occupait là, devant tout le monde, de leur éducation chorégraphique et musicale, leur rappelait pourquoi il leur fallait danser et chanter ; puis, désolée de les voir si peu intelligents, elle se mettait à les battre.

Elle interrompait ces exercices pour s’adresser au public ; apercevait-elle dans la foule un homme vêtu à peu près