Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/195

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qu’elle ne l’irritait. Aussi se hâtait-il de regagner la ville ; il se mêlait à la foule, entrait dans les traktirs et dans les cabarets, allait au Tolkoutchii ou à la Siennaïa. Là il se trouvait plus à l’aise et même plus seul.

À la tombée de la nuit, on chantait des chansons dans une gargote. Il passa une heure entière à les écouter et y prit même un grand plaisir. Mais, à la fin, l’inquiétude le ressaisit de nouveau ; une pensée poignante comme un remords se mit à le torturer :

« Je suis là à écouter des chansons, est-ce pourtant ce que je dois faire ? » se dit-il. Du reste, il devinait que ce n’était pas là son unique souci : une autre question devait être tranchée sans retard ; mais elle avait beau s’imposer à son attention, il ne pouvait se résoudre à lui donner une forme précise. « Non, mieux vaudrait la lutte ! mieux vaudrait me retrouver encore en face de Porphyre… ou de Svidrigaïloff… Oui, oui, plutôt un adversaire quelconque, une attaque à repousser ! »

Sur cette réflexion, il quitta précipitamment la gargote. Soudain, la pensée de sa mère et de sa sœur le jeta dans une sorte de terreur panique. Il passa cette nuit-là couché dans les taillis de Krestowsky-Ostroff ; avant l’aurore, il se réveilla tremblant la fièvre et prit le chemin de sa demeure, où il arriva de grand matin. Après quelques heures de sommeil, la fièvre disparut, mais il s’éveilla tard, — à deux heures de l’après-midi.

Raskolnikoff se rappela que c’était le jour fixé pour les obsèques de Catherine Ivanovna, et il se félicita de n’y avoir pas assisté. Nastasia lui apporta son repas. Il mangea et but de bon appétit, presque avec avidité. Sa tête était plus fraîche, il goûtait un calme qui lui était inconnu depuis trois jours. Un instant même, il s’étonna des accès de terreur panique auxquels il avait été en proie. La porte s’ouvrit, entra Razoumikhine.