Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/197

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est restée là dix minutes ; debout à côté d’elle, nous nous taisions. « S’il sort, a-t-elle dit en se levant, c’est qu’il n’est pas malade et qu’il oublie sa mère ; il est donc inconvenant à moi d’aller mendier les caresses de mon fils. » Elle est retournée chez elle et s’est mise au lit ; à présent elle a la fièvre : « Je le vois bien, dit-elle, c’est à elle qu’il donne tout son temps. » Elle suppose que Sophie Séménovna est ta fiancée ou ta maîtresse. Je suis allé aussitôt chez cette jeune fille, parce que, mon ami, il me tardait d’être fixé là-dessus. J’entre, et que vois-je ? Un cercueil, des enfants qui pleurent et Sophie Séménovna qui leur essaye des vêtements de deuil. Tu n’étais pas là. Après t’avoir cherché des yeux, j’ai fait mes excuses, je suis sorti et j’ai été raconter à Avdotia Romanovna le résultat de ma démarche. Décidément, tout cela ne signifie rien, il ne s’agit pas ici d’amourette : reste donc, comme la plus probable, l’hypothèse de la folie. Or, voici que je te trouve en train de dévorer du bœuf bouilli, comme si tu n’avais rien pris depuis quarante-huit heures ! Sans doute, être fou n’empêche pas de manger ; mais, quoique tu ne m’aies pas encore dit un mot…, non, tu n’es pas fou, j’en mettrais ma main au feu ! C’est pour moi un point hors de discussion. Aussi, je vous envoie tous au diable, attendu qu’il y a là un mystère et que je n’ai pas l’intention de me casser la tête sur vos secrets. J’étais venu seulement pour te faire une scène et me soulager le cœur. Quant au reste, je sais maintenant ce que j’ai à faire !

— Que vas-tu faire ?

— Que t’importe ?

— Tu vas te mettre à boire ?

— Comment as-tu deviné cela ?

— Avec ça que c’était difficile à deviner !

Razoumikhine resta un moment silencieux.

— Tu as toujours été fort intelligent, et jamais, jamais tu