Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/210

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commencé à lui donner des leçons. Sur ces entrefaites arrive cette malheureuse affaire. Le pauvre garçon prend peur et se passe une corde au cou. Que voulez-vous ? Notre peuple ne peut s’ôter de l’esprit cette idée que tout homme recherché par la police est un homme condamné. En prison, Mikolka est revenu au mysticisme de ses premières années ; à présent il a soif d’expiation, et c’est ce motif seul qui l’a décidé à s’avouer coupable. Ma conviction à cet égard est basée sur certains faits que lui-même ne connaît pas. Du reste, il finira par me confesser toute la vérité. Vous croyez qu’il soutiendra son rôle jusqu’au bout ? Attendez un peu, vous verrez qu’il rétractera ses aveux. D’ailleurs, s’il a réussi à donner, sur certains points, un caractère de vraisemblance à ses déclarations, en revanche, sur d’autres, il se trouve en complète contradiction avec les faits, et il ne s’en doute pas ! Non, batuchka Rodion Romanovitch, le coupable n’est pas Mikolka. Nous sommes ici en présence d’une affaire fantastique et sombre ; ce crime a bien la marque contemporaine, il porte au plus haut point le cachet d’une époque qui fait consister toute la vie dans la recherche du confort. Le coupable est un théoricien, une victime du livre ; il a déployé, pour son coup d’essai, beaucoup d’audace, mais cette audace est d’un genre particulier, c’est celle d’un homme qui se précipite du haut d’une montagne ou d’un clocher. Il a oublié de refermer la porte sur lui, et il a tué, tué deux personnes pour obéir à une théorie. Il a tué et il n’a pas su s’emparer de l’argent ; ce qu’il a pu emporter, il est allé le cacher sous une pierre. Il ne lui a pas suffi des angoisses endurées dans l’antichambre, pendant qu’il entendait les coups frappés à la porte et le tintement répété de la sonnette ; non, cédant à un irrésistible besoin de retrouver le même frisson, il est allé plus tard visiter le logement vide et tirer le cordon de la sonnette. Mettons cela sur le compte de la maladie, d’un demi-délire, soit ;