Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/239

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fixés sur le canal. Debout, à peu de distance de Raskolnikoff, Avdotia Romanovna l’observait. En montant sur le pont, il avait passé près d’elle, mais il ne l’avait pas remarquée. À la vue de son frère, Dounetchka éprouva un sentiment de surprise et même d’inquiétude. Elle resta un moment à se demander si elle l’accosterait. Tout à coup elle aperçut du côté du Marché-au-Foin Svidrigaïloff qui se dirigeait rapidement vers elle.

Mais celui-ci semblait avancer avec prudence et mystère. Il ne monta pas sur le pont et s’arrêta sur le trottoir, s’efforçant d’échapper à la vue de Raskolnikoff. Depuis longtemps déjà il avait remarqué Dounia et il lui faisait des signes. La jeune fille crut comprendre qu’il l’appelait auprès de lui et l’engageait à ne pas attirer l’attention de Rodion Romanovitch.

Docile à cette invitation muette, Dounia s’éloigna sans bruit de son frère et rejoignit Svidrigaïloff.

— Allons plus vite, lui dit tout bas ce dernier. — Je tiens à ce que Rodion Romanovitch ignore notre entrevue. Je vous préviens qu’il est venu me trouver tout à l’heure dans un traktir près d’ici, et que j’ai eu beaucoup de peine à me débarrasser de lui. Il sait que je vous ai écrit une lettre, et il soupçonne quelque chose. Assurément, ce n’est pas vous qui lui avez parlé de cela ; mais si ce n’est pas vous, qui est-ce donc ?

— Voici que nous avons tourné le coin de la rue, interrompit Dounia, à présent mon frère ne peut plus nous voir. Je vous déclare que je n’irai pas plus loin avec vous. Dites-moi tout ici ; tout cela peut se dire même en pleine rue.

— D’abord ce n’est pas sur la voie publique que peuvent se faire de pareilles confidences, ensuite vous devez entendre aussi Sophie Séménovna ; en troisième lieu, il faut que je vous montre certains documents… Enfin, si vous ne con-