Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/258

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Dans une chambre un peu plus grande que la sienne il aperçut deux individus, l’un debout, l’autre assis sur une chaise. Le premier, en manches de chemise, était rouge et avait des cheveux crépus. Il objurguait son compagnon avec des larmes dans la voix : « Tu n’avais pas de position, tu étais dans la dernière misère ; je t’ai tiré du bourbier, et il ne tient qu’à moi de t’y replonger. » L’ami à qui s’adressaient ces paroles avait l’air d’un homme qui voudrait bien éternuer et qui n’y peut réussir. De temps à autre il jetait un regard hébété sur l’orateur : évidemment, il ne comprenait pas un mot de ce qu’on lui disait, peut-être même ne l’entendait-il pas. Sur la table où la bougie achevait de se consumer, il y avait une carafe d’eau-de-vie presque vide, des verres de dimensions diverses, du pain, des concombres et un service à thé. Après avoir considéré attentivement ce tableau, Svidrigaïloff quitta son poste d’observation et revint s’asseoir sur le lit.

En apportant le thé et le veau, le garçon ne put s’empêcher de demander encore une fois s’il ne fallait pas autre chose. Sur la réponse négative qu’il reçut, il se retira définitivement. Svidrigaïloff se hâta de boire un verre de thé pour se réchauffer, mais il lui fut impossible de manger. La fièvre qui commençait à l’agiter lui coupait l’appétit. Il ôta son paletot et sa jaquette, s’enveloppa dans la couverture du lit et se coucha. Il était vexé. « Mieux vaudrait pour cette fois être bien portant », se dit-il avec un sourire. L’atmosphère était étouffante, la bougie éclairait faiblement, le vent grondait au dehors, dans un coin se faisait entendre le bruit d’une souris, du reste une odeur de souris et de cuir remplissait toute la chambre. Étendu sur le lit, Svidrigaïloff rêvait plutôt qu’il ne pensait, ses idées se succédaient confusément, il aurait voulu arrêter son imagination sur quelque chose. « C’est sans doute un jardin qu’il y a sous la fenêtre, les arbres sont agités par le vent. Que je