Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/270

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drai patience. Il me suffira de savoir que tu m’aimes. Je lirai tes ouvrages, j’entendrai parler de toi par tout le monde, et, de temps en temps, je recevrai ta visite. Que puis-je désirer de plus ? Aujourd’hui, tu es venu consoler ta mère, je le vois…

Brusquement, Pulchérie Alexandrovna fondit en larmes.

— Me voilà encore ! Ne fais pas attention à moi, je suis folle ! Ah ! Seigneur, mais je ne pense à rien ! s’écria-t-elle en se levant tout à coup. — Il y a du café, et je ne t’en offre pas ! Tu vois ce que c’est que l’égoïsme des vieilles gens. Tout de suite, tout de suite !

— Ce n’est pas la peine, maman, je vais m’en aller. Je ne suis pas venu ici pour cela. Écoutez-moi, je vous en prie.

Pulchérie Alexandrovna s’approcha timidement de son fils.

— Maman, quoi qu’il arrive, quoi que vous entendiez dire de moi, m’aimerez-vous comme maintenant ? demanda-t-il soudain.

Ces paroles jaillirent spontanément du fond de son cœur avant qu’il eût eu le temps d’en mesurer la portée.

— Rodia, Rodia, qu’as-tu ? Comment peux-tu donc me faire cette question ? Qui osera jamais me dire du mal de toi ? Si quelqu’un se permettait cela, je refuserais de l’entendre et le chasserais de ma présence.

— Le but de ma visite était de vous assurer que je vous ai toujours aimée, et maintenant je suis bien aise que nous soyons seuls, bien aise même que Dounetchka ne soit pas ici, poursuivit-il avec le même élan ; — peut-être serez-vous malheureuse, sachez cependant que votre fils vous aime maintenant plus que lui-même, et que vous avez eu tort de mettre en doute sa tendresse. Jamais je ne cesserai de vous aimer… Allons, assez ; j’ai cru que je devais, avant tout, vous donner cette assurance…

Pulchérie Alexandrovna embrassa silencieusement son fils, le pressa contre sa poitrine et pleura sans bruit.