Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/272

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rant ; la première ne fit plus aucune question. Elle avait compris que le jeune homme traversait une crise terrible, et que son sort allait se décider dans un moment.

— Rodia, mon chéri, mon premier-né, dit-elle à travers ses sanglots, te voilà maintenant tel que tu étais dans ton enfance ; c’est ainsi que tu venais m’offrir tes caresses et tes baisers. Jadis, du vivant de ton père, lui et moi n’avions, au milieu de nos malheurs, d’autre consolation que ta présence, et depuis que je l’ai enterré, combien de fois n’avons-nous pas, toi et moi, pleuré sur sa tombe, en nous tenant embrassés comme à présent ! Si je pleure depuis longtemps, c’est que mon cœur maternel avait des pressentiments sinistres. Le soir où nous sommes arrivés à Pétersbourg, dès notre première entrevue, ton visage m’a tout appris, et aujourd’hui, quand je t’ai ouvert la porte, j’ai pensé, en te voyant, que l’heure fatale était venue. Rodia, Rodia, tu ne pars pas tout de suite ?

— Non.

— Tu viendras encore ?

— Oui… je viendrai.

— Rodia, ne te fâche pas, je n’ose t’interroger ; dis-moi seulement deux mots : tu vas loin d’ici ?

— Fort loin.

— Tu auras là un emploi, une position ?

— J’aurai ce que Dieu m’enverra… priez seulement pour moi…

Raskolnikoff voulait sortir, mais elle se cramponna à lui et le regarda en plein visage avec une expression de désespoir.

— Assez, maman, dit le jeune homme, qui, témoin de cette douleur navrante, regrettait profondément d’être venu.

— Tu ne pars pas pour toujours ? Tu ne vas pas te mettre en route tout de suite ? Tu viendras demain ?

— Oui, oui, adieu.