Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/289

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Oui… je le connaissais… Il était arrivé depuis peu ici…

— Oui, en effet, il était arrivé depuis peu ; il avait perdu sa femme, c’était un débauché. Il s’est tiré un coup de revolver dans des conditions particulièrement scandaleuses. On a trouvé sur son cadavre un carnet où il avait écrit quelques mots : « Je meurs en possession de mes facultés intellectuelles, qu’on n’accuse personne de ma mort… » Cet homme-là avait, dit-on, de la fortune. Comment donc le connaissiez-vous ?

— Je… ma sœur avait été institutrice chez lui.

— Bah ! bah ! bah !… Mais alors vous pouvez donner des renseignements sur lui. Vous n’aviez aucun soupçon de son projet ?

— Je l’ai vu hier… il buvait du vin… je ne me suis douté de rien.

Raskolnikoff sentait comme une montagne sur sa poitrine.

— Voilà que vous pâlissez encore, semble-t-il. L’atmosphère de cette pièce est si étouffante…

— Oui, il est temps que je m’en aille, balbutia le visiteur, excusez-moi, je vous ai dérangé…

— Allons donc, je suis toujours à votre disposition ! Vous m’avez fait plaisir, et je suis bien aise de vous déclarer…

En prononçant ces mots, Ilia Pétrovitch tendit la main au jeune homme.

— Je voulais seulement… j’avais affaire à Zamétoff…

— Je comprends, je comprends… charmé de votre visite.

— Je… suis enchanté… au revoir… fit Raskolnikoff avec un sourire.

Il sortit d’un pas chancelant. La tête lui tournait. Il pouvait à peine se porter, et, en descendant l’escalier, force lui fut de s’appuyer au mur pour ne pas tomber. Il lui sembla qu’un dvornik, qui se rendait au bureau de police, le heurtait en passant ; qu’un chien aboyait quelque part au premier étage, et qu’une femme criait pour faire taire l’animal. Arrivé au bas de l’escalier, il entra dans la cour. Debout, non loin de la porte, Sonia, pâle comme la mort, le considérait d’un air