Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/300

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

d’une nature consolante. Dounia et son mari apprenaient par la correspondance de Sonia que leur frère était toujours sombre et taciturne : quand la jeune fille lui communiquait les nouvelles reçues de Pétersbourg, il y faisait à peine attention ; parfois il s’informait de sa mère, et lorsque Sonia, voyant qu’il devinait la vérité, lui avait enfin annoncé la mort de Pulchérie Alexandrovna, elle avait remarqué, à sa grande surprise, qu’il était resté à peu près impassible. « Bien qu’il paraisse entièrement absorbé en lui-même et comme étranger à tout ce qui l’entoure, écrivait entre autres choses Sonia, il envisage très-franchement sa vie nouvelle, il comprend très-bien sa situation, n’attend rien de mieux d’ici à longtemps, ne se berce d’aucun espoir frivole et n’éprouve presque aucun étonnement dans ce milieu nouveau qui diffère tant de l’ancien… sa santé est satisfaisante. Il va au travail sans répugnance et sans empressement. Il est presque indifférent à la nourriture, mais, sauf les dimanches et les jours de fête, cette nourriture est si mauvaise qu’à la fin il a consenti à accepter de moi quelque argent pour se procurer du thé tous les jours. Quant au reste, il me prie de ne pas m’en inquiéter, car, assure-t-il, il lui est désagréable qu’on s’occupe de lui. » « En prison, lisait-on dans une autre lettre, il est logé avec les autres détenus ; je n’ai pas visité l’intérieur de la forteresse, mais j’ai lieu de penser qu’on y est fort mal, fort à l’étroit et dans des conditions insalubres. Il couche sur un lit de camp recouvert d’un tapis de feutre, il ne veut rien d’autre. S’il refuse tout ce qui pourrait rendre son existence matérielle moins dure et moins grossière, ce n’est nullement par principe, en vertu d’une idée préconçue, mais simplement par apathie, par indifférence. » Sonia avouait qu’au commencement surtout, ses visites, loin de faire plaisir à Raskolnikoff, lui causaient une sorte d’irritation : il ne sortait de son mutisme que pour dire des grossièretés à la jeune fille.