Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/303

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Il avait toujours fait peu de cas de l’existence pure et simple ; il avait toujours voulu davantage. Peut-être la force seule de ses désirs lui avait-elle fait croire jadis qu’il était de ces hommes à qui il est plus permis qu’aux autres.

Encore si la destinée lui avait envoyé le repentir, — le repentir poignant qui brise le cœur, qui chasse le sommeil, le repentir dont les tourments sont tels que l’homme se pend ou se noie pour y échapper ! Oh ! il l’aurait accueilli avec bonheur ! Souffrir et pleurer — c’est encore vivre. Mais il ne se repentait pas de son crime. Du moins il aurait pu s’en vouloir de sa sottise, comme il s’était reproché autrefois les actions stupides et odieuses qui l’avaient conduit en prison. Mais maintenant que dans le loisir de la captivité il réfléchissait à nouveau sur toute sa conduite passée, il ne la trouvait plus, à beaucoup près, aussi odieuse ni aussi stupide qu’elle le lui avait paru dans ce temps-là.

« En quoi, pensait-il, mon idée était-elle plus bête que les autres idées et théories qui se livrent bataille dans le monde depuis que le monde existe ? Il suffit d’envisager la chose à un point de vue large, indépendant, dégagé des préjugés du jour, et alors, certainement, mon idée ne paraîtra plus aussi… étrange. Ô esprits soi-disant affranchis, philosophes de cinq kopecks, pourquoi vous arrêtez-vous à mi-chemin ? »

« Et pourquoi ma conduite leur paraît-elle si laide ? se demandait-il. Parce que c’est un crime ? Que signifie le mot crime ? Ma conscience est tranquille. Sans doute j’ai commis un acte illicite, j’ai violé la lettre de la loi et versé le sang ; eh bien, prenez ma tête… voilà tout ! Certes, en ce cas, plusieurs même des bienfaiteurs de l’humanité, de ceux à qui le pouvoir n’est pas venu par héritage, mais qui s’en sont emparés de vive force, auraient dû dès leur début être livrés au supplice. Mais ces gens-là sont allés jusqu’au bout,