Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/309

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revint à la prison, ses codétenus lui apprirent que Sophie Séménovna était malade et gardait la chambre.

Il fut fort inquiet, envoya demander des nouvelles de la jeune fille. Il sut bientôt que sa maladie n’était pas dangereuse. De son côté, Sonia, voyant qu’il était si préoccupé de son état, lui écrivit au crayon une lettre où elle l’informait qu’elle allait beaucoup mieux, qu’elle avait pris un léger refroidissement, et qu’elle ne tarderait pas à l’aller voir au travail. À la lecture de cette lettre, le cœur de Raskolnikoff battit violemment.

La journée était encore sereine et chaude. À six heures du matin, il alla travailler au bord du fleuve, où l’on avait établi sous un hangar un four à cuire l’albâtre. Trois ouvriers seulement furent envoyés là. L’un d’eux, accompagné du garde-chiourme, alla chercher un instrument à la forteresse, un autre commença à chauffer le four. Raskolnikoff quitta le hangar, s’assit sur un banc de bois et se mit à contempler le fleuve large et désert. De cette rive élevée on découvrait une grande étendue de pays. Au loin, de l’autre côté de l’Irtych, retentissaient des chants dont un vague écho arrivait aux oreilles du prisonnier. Là, dans l’immense steppe inondée de soleil, apparaissaient comme de petits points noirs les tentes des nomades. Là c’était la liberté, là vivaient d’autres hommes qui ne ressemblaient nullement à ceux d’ici ; là on eût dit que le temps n’avait pas marché depuis l’époque d’Abraham et de ses troupeaux. Raskolnikoff rêvait, les yeux fixés sur cette lointaine vision ; il ne pensait à rien, mais une sorte d’inquiétude l’oppressait.

Tout à coup il se trouva en présence de Sonia. Elle s’était approchée sans bruit et s’assit à côté de lui. La fraîcheur du matin se faisait encore un peu sentir. Sonia avait son pauvre vieux bournous et son mouchoir vert. Son visage pâle et amaigri témoignait de sa récente maladie. En abordant le prisonnier, elle lui sourit d’un air aimable et content, mais