Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/311

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Le soir, après qu’on eut bouclé les prisonniers, le jeune homme se coucha sur son lit de camp et pensa à elle. Il lui semblait même que ce jour-là tous les détenus, ses anciens ennemis, l’avaient regardé d’un autre œil. Il leur avait adressé la parole le premier, et ils lui avaient répondu avec affabilité.

Il se rappelait cela maintenant, mais d’ailleurs il devait en être ainsi : est-ce que maintenant tout ne devait pas changer ?

Il pensait à elle. Il songeait aux chagrins dont il l’avait continuellement abreuvée ; il revoyait en esprit son petit visage pâle et maigre. Mais à présent ces souvenirs étaient à peine un remords pour lui : il savait par quel amour sans bornes il allait désormais racheter ce qu’il avait fait souffrir à Sonia.

Oui, et qu’était-ce que toutes ces misères du passé ? Dans cette première joie du retour à la vie, tout, même son crime, même sa condamnation et son envoi en Sibérie, tout lui apparaissait comme un fait extérieur, étranger ; il semblait presque douter que cela lui fût réellement arrivé. Du reste, ce soir-là, il était incapable de réfléchir longuement, de concentrer sa pensée sur un objet quelconque, de résoudre une question en connaissance de cause ; il n’avait que des sensations. La vie s’était substituée chez lui au raisonnement.

Sous son chevet se trouvait un évangile. Il le prit machinalement. Ce livre appartenait à Sonia, c’était dans ce volume qu’elle lui avait lu autrefois la résurrection de Lazare. Au commencement de sa captivité, il s’attendait à une persécution religieuse de la part de la jeune fille, il croyait qu’elle allait lui jeter sans cesse l’Évangile à la tête. Mais, à son grand étonnement, pas une seule fois elle ne mit la conversation sur ce sujet, pas une seule fois même elle ne lui offrit le saint livre. Ce fut lui-même qui le lui demanda peu de temps avant sa maladie, et elle le lui apporta sans mot dire. Jusqu’alors il ne l’avait pas ouvert.

Maintenant encore il ne l’ouvrit pas, mais une pensée