Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/115

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Il se jeta au cou de son père et l’embrassa avec effusion. Celui-ci lui répondit de la même manière, mais il se hâta de mettre un terme à cette scène de sensibilité, comme s’il eut été confus de son attendrissement.

— C’est assez, dit-il en prenant son chapeau ; je me retire. Je vous ai demandé dix minutes, et je suis resté toute une heure, ajouta-t-il en souriant. Mais je pars avec la plus ardente impatience de vous revoir bientôt. Me permettez-vous de venir vous voir aussi souvent qu’il me sera possible ?

— Oh ! oui, oui ! répondit Natacha, le plus souvent que vous pourrez, je voudrais bien vite… vous aimer… ajouta-t-elle toute confuse…

— Quelle honnête franchise ! dit le prince en souriant. Que vous êtes loin de ces gens rusés qui trouveraient une simple formule de politesse ! Votre sincérité m’est plus chère que toutes les feintes civilités, et je crains qu’il ne me faille longtemps pour être digne de vôtre amitié !

— Oh ! de grâce ! pas d’éloges ! murmura Natacha toute rougissante. Dieu ! qu’elle était belle en cet instant !

— Restons-en là, conclut le prince ; un dernier mot, cependant. Représentez-vous combien je suis malheureux ! Je ne puis venir ni demain, ni après-demain. J’ai reçu ce soir une lettre qui réclame immédiatement ma participation à une affaire d’une grande importance et me force à quitter Pétersbourg demain matin. Ne croyez pas que je sois venu si tard justement parce que je n’en aurais pas eu le temps ces deux jours. Naturellement vous n’y pensiez pas : voyez comme je suis méfiant ! Pourquoi m’a-t-il semblé que vous deviez avoir cette idée-là ? Cette méfiance m’a beaucoup nui, et toutes mes discussions avec votre famille ne sont peut-être que le résultat de mon pitoyable caractère !… C’est aujourd’hui mardi, j’espère être de retour samedi, et le même jour je viendrai vous voir. Permettez-vous que je vienne passer la soirée avec vous ?

— Certainement, certainement ! s’écria Natacha. Je vous attendrai avec impatience.

— Que je suis aise ! j’apprendrai à mieux vous connaître ! mais… je pars. Je ne puis pourtant pas m’en aller sans vous