Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/118

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— Il a aussi dit que ma bonté de cœur ne peut que me nuire. Comment cela ? Je ne comprends pas. Mais, dis-moi, Natacha, ne ferai-je peut-être pas bien d’aller vite le rejoindre ? Je viendrai demain de grand matin.

— Va, va, mon ami. C’est une excellente idée. Demain tu viendras le plus tôt possible. À présent tu ne seras plus à courir des cinq journées entières loin de moi, ajouta-t-elle en lui jetant un regard langoureux et malicieux à la fois.

Nous étions tous remplis d’une joie douce et sereine.

— Venez-vous avec moi, Vania ? me dit Aliocha en sortant.

— Non, laisse-le ; il faut que je lui parle, dit Natacha. N’oublie pas ! demain de grand matin !

— De grand matin ! Adieu, Mavra.

Mavra était dans une grande agitation. Elle avait tout entendu, mais n’avait pas tout compris et aurait voulu savoir et interroger. En attendant, elle était sérieuse et rengorgée, devinant, elle aussi, qu’il était survenu un grand changement.

Nous restâmes seuls ; Natacha me prit la main et parait chercher un instant ce qu’elle voulait dire.

— Je suis fatiguée, dit-elle enfin d’une voix faible. Dis-moi, tu iras demain chez nous, n’est-ce pas ?

— Certainement.

— Dis-le à maman, mais pas à mon père.

— Tu sais bien que je ne lui parle jamais de toi.

— C’est vrai. Du reste, il l’apprendra. Tâche de savoir ce qu’il dira, comment il prendra la chose. Penses-tu qu’il me maudisse parce que je me marie ? Serait-ce possible ?

— C’est au prince à tout arranger ; il faut qu’il se réconcilie avec ton père, et tout s’accommodera.

— Ah ! mon Dieu ! Si cela pouvait arriver ! s’écria-t-elle avec l’accent de la prière.

— Sois sans inquiétude, Natacha. Tout ira pour le mieux, c’est évident.

— Vania, que penses-tu du prince ? demanda-t-elle après un moment de silence.

— S’il est sincère, c’est, selon moi, un parfait gentilhomme.

— Que veux-tu dire ? Pourrait-il se faire qu’il ne fût pas sincère ?