Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/124

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la maison devant laquelle le vieillard avait rendu le dernier soupir.

Elle regarda fixement l’endroit, puis elle me dit d’un ton suppliant :

— Pour l’amour de Dieu ! ne me suivez pas. Je viendrai ! Je viendrai aussitôt que je pourrai.

— C’est bon ! je t’ai déjà dit que je n’irais pas chez toi ; mais dis-moi de quoi tu as peur. Tu es sans doute bien malheureuse. Tu me fais tant de peine…

— Je n’ai peur de personne, dit-elle d’une voix irritée.

— Mais pourquoi as-tu dit : Elle me battra ?

— Qu’elle me batte ! s’écria-t-elle. Qu’elle me batte ! qu’elle me batte ! répéta-t-elle. Ses yeux lançaient des éclairs, et sa lèvre tremblait, exprimant un amer dédain.

Nous arrivâmes à Vassili-Ostrow. Elle fit arrêter le fiacre à l’entrée de la sixième ligne, descendit et jeta un regard inquiet autour d’elle.

— Ne vous arrêtez pas, continuez ; je viendrai, je viendrai ! s’écria-t-elle avec une agitation extrême. Allez-vous-en vite, vite !

Je continuai ma route, mais un instant après je quittai mon fiacre et revins sur mes pas. Je pris l’autre côté de la rue, et je la vis qui s’éloignait rapidement : elle n’avait pas encore eu le temps de gagner beaucoup de chemin, quoiqu’elle marchât très-vite ; elle se retournait fréquemment, et s’arrêtait même pour s’assurer qu’elle n’était pas suivie. Mais j’eus soin de me cacher sous les portes cochères ; elle ne m’aperçut pas et poursuivit son chemin.



IV

Elle courait presque. Arrivée enfin à l’autre bout de la rue, elle entra chez un épicier. Je me postai pour la voir sortir, pensant bien qu’elle n’y resterait pas longtemps.

Elle sortit en effet un instant après, sans livres, une é