Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/128

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J’ai que vous êtes sans pitié ! m’écriai-je. De quel droit tourmentez-vous ainsi cette pauvre enfant ? Elle n’est pas votre fille, pas même votre fille adoptive, c’est une orpheline !…

— Seigneur Jésus ! qui es-tu donc, toi qui viens te jeter ainsi chez les gens ? Es-tu venu avec elle ? Je vais envoyer chercher le commissaire ! Que veux-tu ? Est-ce peut-être chez toi qu’elle va ? Qui est celui-là qui vient faire du tapage dans une maison étrangère ? Au secours ! au secours ! Elle se jeta sur moi le poing levé ; mais un cri perçant, qui n’avait rien d’humain, retentit. Je me retournai : Hélène gisait sans connaissance par terre et se débattait dans d’horribles convulsions. Sa figure était toute changée, ses traits contractés : elle avait une attaque d’épilepsie. La fille à l’extérieur en désordre et la femme d’en bas accoururent et l’emportèrent.

—Si elle pouvait crever, la maudite ! hurla la grosse femme, c’est la troisième attaque depuis un mois… Loin d’ici, mouchard !… Et elle fit de nouveau mine de se jeter sur moi. Puis s’adressant à son portier : Qu’est-ce que tu fais là planté ? À quoi me sert d’avoir un pareil dvornik ? pourquoi est-ce que je te donne des gages ?

— Va-t’en, va-t’en ! si tu ne veux pas que l’on te caresse la nuque, dit le dvornik comme pour la forme. Ne te mêle pas de ce qui ne te regarde pas. Tire ta révérence et file !

Je n’avais rien de mieux à faire, et je m’éloignai, persuadé que mon intervention avait été totalement infructueuse. Mais je sentais l’indignation bouillir en moi. Debout sur le trottoir, en face de la porte cochère, je restai à regarder par le guichet. La grosse femme monta chez elle, et le dvornik, ayant achevé son travail, disparut à son tour. Un instant après, la femme qui avait aidé à transporter Hélène sortit sur le perron et se dirigeait vers son logement lorsqu’elle m’aperçut. Elle s’arrêta et me regarda d’un air intrigué. Son visage, qui respirait la douceur et la bonté, me donna du courage ; je rentrai dans la cour et m’approchai d’elle.

— Permettez-moi de vous demander ce qu’est ici cette petite fille et ce qu’en fait cette méchante femme, lui dis-je. Ce n’est pas pure curiosité de ma part : j’ai rencontré cette