Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/145

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coussin de cuir tout râpé. Il dormait d’un sommeil très-léger, car il se réveilla à mon entrée.

— Ah ! le voilà ! s’écria-t-il. Je viens de te voir en rêve. Cela veut dire qu’il est temps ; en route !

— Où allons-nous ?

— Chez une dame.

— Chez quelle dame ? Pourquoi ?

— Chez madame Boubnow. Quelle belle femme ! poursuivit-il en s’adressant à Alexandra Simonovna, et il fit comme s’il envoyait de la main un baiser au souvenir de la Boubnow.

— Le voilà parti ! encore de ses inventions ! dit Alexandra Simonovna, qui se crut obligée de se fâcher un peu.

— Vous ne vous connaissez pas ? Alexandra Simonovna, je te présente un des généraux de la littérature ; on ne les voit gratis qu’une fois l’an, ces généraux ; le reste du temps, ce n’est qu’en payant.

— Voilà qu’il veut toujours m’attraper. Ne l’écoutez pas, je vous en prie ; il ne fait que se moquer de moi. De quels généraux parle-t-il ?

— Je vous dis justement que ce sont des généraux d’une catégorie à part. Et que Son Excellence ne nous prenne pas pour une sotte ; nous avons plus d’esprit que nous n’en avons l’air.

— Ne l’écoutez pas ! il se moque toujours de moi en présence des gens comme il faut, ce sans vergogne ! Il ferait bien mieux de me mener une fois au théâtre.

— Alexandra Simonovna, aimez vos… Avez-vous oublié ce que vous devez aimer ? Auriez-vous oublié ce tout petit mot, que je vous ai appris ?

— Je ne l’ai certes pas oublié… Une absurdité quelconque !

— Eh bien ! quel est-il, ce petit mot ?

— Il veut me faire rougir en présence d’étrangers ! Il signifie peut-être quelque chose de vilain. Ma langue séchera plutôt que de le prononcer.

— Cela veut dire que vous l’avez oublié.

— Mais non, je ne l’ai pas oublié : pénates ! Aimez vos pénates… quelles idées il lui vient ! il n’y a peut-être jamais