Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/153

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parlai de mes deux vieux amis. Il parut intrigué, et je crus remarquer, non sans surprise, que l’histoire de Natacha ne lui était pas complètement inconnue.

— Il y a longtemps que j’ai entendu parler de ça, par hasard, à propos d’une autre affaire, me dit-il ; tu sais que je connais le prince Valkovsky. C’est une excellente idée que celle de mener la petite chez les deux vieux ; elle te gênerait beaucoup. À propos, il lui faudra un papier, un permis de séjour, je m’en charge. Adieu, viens donc me voir. Que fait-elle à présent ? dort-elle ?

— Je crois.

À peine était-il sorti qu’Hélène m’appela.

— Qui était-ce ? demanda-t-elle. Sa voix tremblait, et elle continuait de me regarder de ce même regard fixe et hardi en même temps.

Je nommai Masloboïew, et je lui dis que c’était par lui que j’avais pu l’arracher de chez la Boubnow, qui avait de lui une sainte terreur. Ses joues se couvrirent d’une vive rougeur, probablement au souvenir de ce qui s’était passé.

— Elle ne viendra pas ici ? me demanda-t-elle en me regardant d’un œil inquiet.

Je la rassurai. Elle garda le silence, me prit la main entre ses petits doigts brûlants ; mais comme si elle s’était ravisée, elle la lâcha aussitôt. Il ne se peut pas qu’elle ressente du dégoût pour moi, pensai-je ; c’est sans doute une manière à elle, ou… ou bien c’est tout simplement que la pauvre enfant a eu tant de malheurs, qu’elle n’a plus confiance en personne.

En retournant à la pharmacie, je passai chez un traiteur et je pris du bouillon ; mais la petite ne voulut rien manger. Je lui donnai sa potion, et je me mis à travailler. Je croyais qu’elle dormait, mais, m’étant retourné subitement, je m’aperçus qu’elle avait soulevé la tête et qu’elle suivait attentivement ce que je faisais. Je feignis de n’avoir rien remarqué.

À la fin, elle s’endormit d’un sommeil paisible, sans délire et sans plaintes. J’étais dans un grand embarras : Natacha, ignorant ce qui me retenait, pouvait être fâchée de ce que