Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/156

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C’est vrai… Où peut-il être allé ?… Si tu pouvais venir demain ! j’aurai peut-être quelque chose à te dire… mais j’ai conscience de t’importuner ainsi ; maintenant retourne auprès de ta malade : voilà deux heures que tu l’as quittée.

— C’est vrai. Adieu, Natacha. Comment Aliocha était-il aujourd’hui ?

— Comme d’habitude.

— Au revoir, chère amie.

— Au revoir !

Elle me tendit négligemment la main, évitant même mon regard. J’en fus surpris, puis je me dis qu’elle avait beaucoup de choses qui lui trottaient par la tête, et des choses qui étaient loin d’être des plaisanteries. Elle me dira tout demain, pensai-je.

Je retournai tristement à la maison ; il faisait déjà sombre quand j’arrivai. Je trouvai Hélène, assise sur le canapé, la tête penchée sur la poitrine, et plongée dans une profonde rêverie. Elle semblait assoupie. Je m’approchai, elle murmurait quelque chose que je ne compris pas, et il me vint aussitôt l’idée qu’elle avait de nouveau le délire.

— Hélène, mon enfant, qu’as-tu ? lui demandai-je en m’asseyant près d’elle et la prenant par la main.

— Je veux m’en aller d’ici… J’aime mieux aller chez elle, dit-elle sans lever la tête.

— Chez qui veux-tu aller ? lui demandai-je tout étonné.

— Chez elle, chez la Boubnow. Elle dit que je lui dois beaucoup d’argent, qu’elle a fait enterrer maman avec son argent… Je ne veux pas qu’elle insulte maman… Je veux travailler chez elle et la payer par mon travail… Puis je m’en irai de chez elle, mais à présent je veux y retourner.

— Calme-toi, Hélène ; tu ne peux pas y aller, lui répondis-je, elle te tourmenterait, elle te perdrait…

— Qu’elle me perde ! qu’elle me tourmente ! reprit-elle avec feu. Une mendiante me l’a dit. Je suis pauvre, je veux être pauvre ; je serai pauvre toute ma vie ; ma mère me l’a ordonné, quand elle est morte. Je travaillerai… Je ne veux pas cette robe…

— Je t’en achèterai demain une autre et je t’apporterai