Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/177

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Alors, c’est toi qui lui apportait son manger ?

— Oui.

— Et d’où l’avais-tu ? de chez la Boubnow ?

— Je n’ai jamais rien pris chez la Boubnow, dit-elle avec fermeté.

— D’où avais-tu ce que tu lui apportais ? Tu n’avais rien toi-même.

Elle hésita un instant.

— J’allais demander l’aumône dans les rues… dit-elle enfin d’une voix sourde ; quand j’avais reçu cinq kopecks, je lui achetais du pain et du tabac à priser.

— Et il le permettait ! Nelly ! chère Nelly !

— Au commencement, j’allais sans le lui dire. Lorsqu’il le sut, c’est lui qui m’envoya mendier. Je me tenais sur le pont, il m’attendait à quelque distance, et, quand on m’avait donné quelques kopecks, il se jetait sur moi et me les prenait, comme si je n’avais pas mendié pour lui, ajouta-t-elle avec un sourire plein d’amertume. C’était après la mort de maman ; il était comme fou.

— Il aimait donc ta maman ? Pourquoi ne demeurait-il pas avec elle ?

— Il ne l’aimait pas… Il était méchant et ne voulait pas lui pardonner… comme ce méchant vieillard d’hier, continua-t-elle en baissant la voix.

Je tressaillis : l’intrigue de tout un roman apparut étincelante à mon imagination. Cette malheureuse mourant dans un sous-sol chez un fabricant de cercueils, cette orpheline allant voir à de rares intervalles son grand-père qui avait maudit sa mère à elle, cet étrange vieillard privé de raison qui, après la mort de son chien, s’en était allé mourir au coin d’une rue.

— Azor avait d’abord appartenu à maman, reprit tout à coup Nelly ; grand-papa aimait beaucoup maman, et lorsqu’elle l’eut quitté, Azor resta chez lui, et il le prit en affection… Il n’a pas voulu pardonner à maman, et, quand Azor a été mort, il est mort aussi, ajouta-t-elle d’une voix rauque.

— Quelle profession avait-il, ton grand-papa ?

— Je ne sais pas ; mais je sais qu’il était riche et qu’il