Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/205

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tes enchanté de pouvoir le faire ! Eh bien, sachez que, il y a deux jours, seule ici, j’ai pris la résolution de vous en libérer, et je le confirme maintenant, en présence de tous.

— C’est-à-dire que vous voulez peut-être raviver en lui ses anciennes inquiétudes, le sentiment du devoir, les « angoisses causées par ses obligations » (pour me servir de vos paroles), afin de l’attacher de nouveau à vous comme auparavant. Cela rentre dans votre théorie, c’est pourquoi je parle ainsi ; mais en voilà assez : le temps décidera, j’attendrai un moment plus calme pour m’expliquer avec vous, et j’espère que nos relations ne sont pas définitivement rompues. J’avais l’intention de vous faire part aujourd’hui de mes projets à l’égard de vos parents, et vous auriez pu vous apercevoir… Mais assez pour aujourd’hui… Ivan Pétrovitch, ajouta-t-il en s’avançant vers moi, maintenant plus que jamais, je tiens à ce que nous fassions plus intimement connaissance ; me permettez-vous de passer un de ces jours chez vous ?

Je fis un signe d’assentiment : je ne pouvais désormais l’éviter. Il me serra la main, s’inclina en silence devant Natacha, et sortit avec un air de dignité blessée.


IV

Nous gardâmes le silence pendant quelques minutes ; Natacha était triste et abattue ; toute son énergie l’avait quittée subitement ; elle regardait sans rien voir, tout droit devant elle, comme si elle avait oublié tout ce qui l’entourait. Elle tenait la main d’Aliocha, qui continuait de pleurer en lui jetant de temps en temps un regard craintif et curieux.

Il se mit enfin à la consoler timidement et la conjura de ne pas être fâchée, s’accusa de nouveau d’être la cause de tout le mal ; il commença plusieurs fois de justifier son père, mais il n’osa achever de crainte d’exciter de nouveau la colère de Natacha. Il lui jura un amour éternel, immuable,