Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/228

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de petit employé, le prince avait épousé la fille d’un riche marchand. Il ne la traitait pas avec la plus grande urbanité, et quoiqu’elle n’ait rien à faire ici, je te ferai remarquer, Vania, que c’est là le métier pour lequel il a eu le plus de goût toute sa vie. Veux-tu un second exemple ? Il part pour l’étranger. Là…

— Attends, Masloboïew, duquel de ses voyages veux-tu parler ? En quelle année ?

—Il y a juste quatre-vingt-dix-neuf ans et trois mois. Donc, à l’étranger, il fit connaissance d’un fabricant ou entrepreneur, je ne sais pas au juste, car ce que je te raconte ne repose que sur des raisonnements et des déductions de faits étrangers. Le prince avait trouvé moyen de se fourrer dans les affaires de cet homme et de lui emprunter de l’argent. Le vieux avait en sa possession les reçus des sommes qu’il avait prêtées, cela va sans dire ; mais le prince entendait avoir emprunté pour ne plus rendre ou, comme on dit tout simplement chez nous, pour voler. Le vieux avait une fille belle comme un ange, qu’aimait éperdument un jeune homme plein d’idéal, un frère de Schiller, poëte et marchand à la fois, un rêveur, un Allemand dans toute la force du terme, un certain Pfefferkuchen5.

— Il s’appelait Pfefferkuchen ?

— Il s’appelait peut-être autrement, mais le diable l’emporte ; ce n’est pas de lui qu’il s’agit. Donc, le prince parvint à s’insinuer dans les bonnes grâces de la fille et fit si bien qu’elle s’affola de lui ; alors, comme les clefs de tous les coffres et tiroirs du vieux étaient entre les mains de sa fille, le prince résolut de faire d’une pierre deux coups : primo, d’avoir la demoiselle, et secundo, les reçus qu’il avait signés au papa. Celui-ci aimait sa fille d’un amour insensé, à tel point qu’il ne voulait pas la marier, qu’il était jaloux de tout prétendant, et qu’il avait chassé Pfefferkuchen, un drôle de corps, un Anglais…

— Anglais, dis-tu, où cela se passait-il ?

— J’ai dit Anglais, au hasard, et tu t’accroches tout de