Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/24

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quoique personne n’ait jamais su ni pu deviner en quoi avait consisté cette éducation.

Nicolas Serguéitch devint excellent agronome, et ses voisins le prenaient pour modèle.

Il vivait ainsi tranquillement depuis plusieurs années, lorsqu’un beau jour le prince Pierre Alexandrovitch Valkovsky, voisin de campagne de la propriété, Vassilievskoé, comptait neuf cent âmes, arriva de Saint-Pétersbourg.

Son arrivée fit sensation dans la contrée. Quoiqu’il ne fût plus de la première jeunesse, le prince n’était pas encore âgé ; il avait un grade assez élevé, des relations influentes ; il était bel homme, riche et veuf, ce qui le rendait particulièrement intéressant aux yeux de toutes les mamans et de toutes les demoiselles à marier du canton. On parlait du brillant accueil que lui avait fait le gouverneur de la province dont il se trouvait être quelque peu parent, on racontait que son amabilité avait tourné la tête à toutes les dames, et ainsi de suite. Bref, c’était un de ces brillants représentants de la haute société pétersbourgeoise qui ne font que de rares apparitions en province et qui produisent un effet extraordinaire toutes les lois qu’ils s’y montrent.

Et pourtant le prince n’était rien moins qu’aimable, surtout envers ceux dont il n’avait pas besoin ou qu’il considérait comme tant soit peu au-dessous de lui, et il n’avait pas jugé nécessaire de faire connaissance avec ses voisins de campagne, ce qui lui avait aussitôt valu une quantité d’ennemis. Aussi quel ne fut pas l’étonnement général lorsqu’il s’avisa d’aller faire visite à Nicolas Serguéitch ! il est vrai que celui-ci était son plus proche voisin.

La venue du prince fut un événement dans la maison des Ikhméniew : les deux époux furent dès le premier jour sous le charme, surtout Anna Andréievna, dont l’enthousiasme ne connut bientôt plus de bornes. Au bout de très-peu de temps le prince était chez eux sans cérémonie, venait les voir tous les jours, les invitait, plaisantait, racontait des anecdotes, chantait et jouait sur leur méchant piano. Les Ikhméniew ne pouvaient assez le voir : comment avait-on pu dire d’un homme si aimable, si agréable, qu’il était fier