Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/241

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s’attendait de ma part à une sortie empreinte d’étrangeté et de jeunesse de caractère, et qu’il se réjouissait d’avance de la confusion dont je me couvrirais. Persuadé d’ailleurs que le diplomate ne ferait aucune attention à ma réplique, ni peut-être à ma personne, je me sentais abominablement mal à l’aise, lorsque je fus tiré d’embarras par Aliocha, qui me toucha légèrement sur l’épaule et me chuchota à l’oreille qu’il avait deux mots à me dire. Je compris que Katia l’avait envoyé, et un instant après, j’étais assis auprès d’elle. Nous fûmes une minute sans trouver un mot pour entamer la conversation ; mais j’étais sûr qu’une fois la glace rompue, nous ne nous arrêterions plus. Aliocha attendait avec impatience ce que nous allions nous dire.

— Pourquoi vous taisez-vous ? dit-il en souriant. Avez-vous fait connaissance pour vous regarder en silence ?

— Vraiment, Aliocha, tu es singulier, lui dit Katia. Aie patience. Nous avons à parler de tant de choses, Ivan Pétrovitch, continua-t-elle en s’adressant à moi, que je ne sais par où commencer ; je regrette que nous ne nous soyons pas rencontrés plus tôt ; mais je vous connais déjà, et j’avais si grande envie de vous voir que j’ai failli vous écrire…

— À quel propos ? lui demandai-je.

— Les sujets ne manquent pas, dit-elle d’un air très-sérieux. N’aurait-ce été, par exemple, que pour vous demander s’il est vrai que Natalie Nicolaïevna n’est pas offensée lorsque Aliocha la laisse seule, surtout à présent. Est-il permis d’agir de la sorte ? Voyons, pourquoi es-tu ici en ce moment ?…

— Ah ! mon Dieu ! j’y cours. Je t’ai dit que je ne restais plus qu’une minute à vous regarder, à voir comment vous entamerez la conversation. Je pars.

— Il est toujours ainsi, dit-elle en rougissant. « Rien qu’une minute ! Et, sans qu’on s’en aperçoive, il reste jusqu’à minuit. » Elle n’est pas fâchée, elle est si bonne ! voilà son raisonnement. C’est bien, bien mal !

— Je pars, dit tristement Aliocha, mais j’aimerais tant rester avec vous !

— Nous n’avons que faire de toi ; au contraire, tu nous