Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/251

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mot, ce qu’on appelle une carrière ; — outre cela, n’y aurait-il que la seule et unique raison que vous avez besoin de connaître, d’observer par vous-même ce que vous décrivez et qu’on trouve dans vos nouvelles des princes, des comtes et des boudoirs… du reste, que dis-je ? À l’heure qu’il est, vous ne voulez rien savoir que la misère.

— Pour ce qui me concerne, vous êtes dans l’erreur, prince ; si je ne fréquente pas ce que vous appelez votre monde, c’est que je trouve qu’on s’y ennuie, et surtout que je n’ai rien à y faire ; pourtant j’y vais quelquefois…

— Je sais, chez le prince R…, une fois l’an : je vous y ai rencontré. Mais le reste du temps vous croupissez dans votre fierté démocratique et vous vous consumez dans vos galetas ; il en est bien peu parmi vous qui n’agissent pas ainsi…

— Vous m’obligeriez, prince, si vous changiez de conversation et si vous laissiez nos galetas.

— Ah ! mon Dieu ! voilà que vous vous fâchez. Vous m’avez permis de vous parler en ami. Mais, veuillez m’excuser, je n’ai encore rien fait pour mériter votre amitié. Ce vin n’est pas mauvais ; goûtez un peu.

Il m’en versa un demi-verre.

— Voyez-vous, mon cher Ivan Pétrovitch, reprit-il, je comprends très-bien qu’il n’est pas bienséant d’imposer son amitié. Nous ne sommes pas tous grossiers et insolents envers vous, ainsi que vous vous l’imaginez ; d’ailleurs, je sais bien que vous n’êtes pas ici par pure sympathie pour moi, mais parce que je vous ai promis de causer. N’est-ce pas ?

Il éclata de rire.

— Et comme vous veillez aux intérêts d’une certaine personne, vous tenez à entendre ce que je dirai. N’est-ce pas ainsi ? ajouta-t-il avec un sourire méchant.

— Vous ne vous êtes pas trompé, répondis-je, je suis venu tout exprès pour cela, sinon je ne resterais pas ici… si tard.

J’avais envie de dire : avec vous ; mais je n’achevai pas, non par crainte, mais à cause de ma maudite faiblesse et de ma délicatesse. Comment, en effet, lui dire en pleine