Page:Dostoïevski - Humiliés et offensés.djvu/260

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entendu parler : je suis persuadé qu’en ce moment vous me regardez comme un homme pervers ; peut-être même m’appelez-vous infâme, monstre, homme perdu de vices. Mais remarquez bien ceci : s’il pouvait arriver (ce qui d’ailleurs, étant donné la nature humaine, ne saurait jamais avoir lieu), s’il pouvait arriver, dis-je, que chacun de nous dévoilât toutes ses secrètes pensées, et qu’il le fit sans crainte d’exposer non-seulement ce qu’il a peur d’avouer et ce que pour rien au monde il n’avouerait publiquement, non-seulement ce qu’il craint de dire à son meilleur ami, mais encore ce qu’il n’ose parfois s’avouer à lui-même ; si cela arrivait, dis-je, il y aurait sur la terre une puanteur telle que nous en serions tous asphyxiés. Voilà, soit dit par parenthèse, ce qui fait le prix de nos conventions et de nos convenances mondaines. Elles renferment une pensée profonde, je ne dis pas morale, mais préservatrice, commode, confortable, ce qui vaut encore mieux, puisque la moralité est au fond la même chose que le confort, et qu’elle a été inventée uniquement en vue du confort. Mais nous parlerons plus tard des convenances, rappelez-le-moi quand ce sera le moment ; à présent, elles ne font que m’embrouiller. Voici ma conclusion : vous m’accusez de vice, de débauche, d’immoralité, et je ne suis peut-être en ce moment condamnable que parce que je suis plus sincère que les autres, parce que j’avoue ce que d’autres se cachent à eux-mêmes, comme je disais tout à l’heure… Je fais mal peut-être, tant pis ! Du reste, soyez sans inquiétude, ajouta-t-il avec un sourire moqueur, si je m’avoue coupable, cela ne veut pas dire que j’implore mon pardon.

— Vous radotez tout bonnement, lui dis-je en le regardant avec mépris.

— Je radote, ah ! ah ! ah ! Voulez-vous que je vous dise à quoi vous pensez en ce moment ? Vous vous demandez pourquoi je vous ai amené ici et pourquoi je me suis mis tout à coup, sans aucune raison, à faire de la franchise. Est-ce vrai ou non ?

— C’est tout à fait vrai.

— Eh bien ! vous le saurez plus tard.

—